Pas bête – C’est quoi une xénogreffe ?

La transplantation d’organe sauve des vies. Mais au-delà de la lourdeur et de la complexité de cette procédure, le problème est qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de personnes en attente d’une greffe que d’organes disponibles. D’où l’idée d’élargir le cercle des donneurs en dehors de notre espèce… Greffer un organe qui provient d’un animal à un individu d’une autre espèce, c’est ce qu’on appelle une xénogreffe (ou « xénotransplantation »).

Cœur, foie, rein, poumon… L’an passé en France, plus de 20 000 personnes attendaient une greffe d’organe, mais seules 5 636 d’entre elles ont pu en bénéficier. Les organes disponibles (ou « greffons ») sont en effet bien trop rares pour répondre au besoin. Face à cette pénurie, une idée se développe : transplanter chez des patientes et des patients humains, au moins de manière transitoire, des tissus ou des organes prélevés à un animal. On parle de xénotransplantation, par opposition à l’allotransplantation, qui consiste à greffer un organe d’un humain à un autre.

Les premières tentatives de xénotransplantation sont en réalité assez anciennes puisqu’elles datent au moins du 19ᵉ siècle. Mais l’approche s’est longtemps heurtée à un problème de taille : l’importante incompatibilité entre un organe issu d’une autre espèce et le système immunitaire humain. Dans les minutes qui suivent une telle greffe, des anticorps présents dans la circulation sanguine du receveur vont reconnaître le greffon étranger et entraîner sa destruction. C’est ce que l’on nomme un « rejet hyperaigu ».

Pour dépasser cette limite, les scientifiques se sont tournés vers la biotechnologie. Ils sont désormais en mesure de produire des animaux génétiquement modifiés, dédiés à cette application : leurs cellules sont dépourvues de certains composants qui font réagir notre système immunitaire et équipées de quelques protéines humaines qui facilitent l’acceptation du greffon. Depuis 2021, plusieurs xénotransplantations de reins de porcs ainsi modifiés ont été réalisées sur des patients en état de mort cérébrale aux États-Unis (avec l’accord des familles et d’un comité d’éthique). Le porc a été choisi comme espèce donneuse, notamment parce que ses organes partagent de nombreuses similarités morphologiques et physiologiques avec les nôtres. Et les résultats sont prometteurs puisque le phénomène de rejet hyperaigu a été évité. Reste la problématique du rejet dit « aigu », qui peut survenir dans les jours suivant l’opération, et celle encore plus tardive du rejet chronique. Une équipe de recherche Inserm, dirigée par Alexandre Loupy (Prix Inserm Innovation 2023), a collaboré à ces travaux pionniers en caractérisant la réponse immunitaire des receveurs de reins porcins. L’objectif : optimiser les particularités génétiques des animaux donneurs et les traitements immunosuppresseurs à administrer au receveur pour éviter ces rejets. Ces travaux ont contribué au succès d’une transplantation réalisée en juillet 2023, suite à laquelle un rein de porc a fonctionné pendant 32 jours chez un receveur humain en état de mort cérébrale.

Au-delà du risque de rejet, d’autres questions associées à la xénotransplantion restent à résoudre. L’une d’entre elles est liée au risque que les greffons soient porteurs de maladies transmissibles à l’humain, connues ou encore à découvrir. D’autres ont trait à l’éthique – cette instrumentalisation des animaux est-elle acceptable ? – ou encore à l’impact psychologique de telles greffes sur les receveurs et, plus largement, à leur acceptabilité par la société.

Des questions qui n’empêchent pas les scientifiques de poursuivre le développement de cette approche, puisqu’une première xénotransplantation de rein de porc génétiquement modifié chez un patient vivant a été réalisé au États-Unis en mars 2024.

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